33. Toi + Moi
La discussion sans tabou d'un patient et d'un soignant
Publié par Caroline Bee et Patrick Papazian

Dr Madrigal
Fermez les yeux Madame Kronik. Fermez les yeux et laissez-vous guider par ma voix et les souvenirs.
Nous sommes au début des années 90. Vous êtes étudiante en soins infirmiers. Brillante, vous êtes la première de votre promotion, vous apportez déjà beaucoup d’empathie dans vos mots et de réconfort par vos soins précis et étonnamment maîtrisés pour votre jeune âge. Vous aimez le hard rock, les tenues noires, Siouxsie la chanteuse et The Cure, les concerts, la bière un peu, la cigarette aussi, et les œufs mayonnaise, beaucoup.
Vous avez un ami. Vous l’avez rencontré à l’hôpital quand, âgée de 18 ans, vous faisiez un travail d’été dans un service de médecine interne pour payer vos vacances. Il faisait le même travail du reste, avec le même objectif. Agent hospitalier. Il était du matin, vous étiez de l’après-midi, vous vous êtes croisés dans le vestiaire, vous étiez à moitié nue, vous en avez ri. Et vous ne vous êtes plus jamais séparés. Quelques jours plus tard, vous avez chacun eu votre premier mort à préparer et emballer dans le service. Lui le matin, vous l’après-midi. Vous n’aviez pas beaucoup d’instructions, par exemple vous ne saviez pas s’il fallait mettre de la mousse pour le dernier rasage, ni comment boucher certains orifices. Expérience marquante, qui a scellé votre complicité autour du soin.
Cet ami, c’est évidemment moi, j’étudiais la médecine, et nous révisions nos cours ensemble. Parfois, quand nos soirées n’étaient pas occupées par un concert déjanté ou un restaurant accessible à nos bourses d’étudiants. Le soin, nous l’avons exploré ensemble, nous l’avons appris ensemble, en théorie et en pratique, confrontant et, surtout, associant les apprentissages du médecin et de l’infirmière dans nos conversations débridées.
Puis vous avez souhaité bifurquer. Changer radicalement de voie. À la fin de vos études. « C’était folie », vous disaient tous vos amis. J’étais inquiet de ce choix mais je vous savais soignante, quoiqu’il arrive. Je savais que vous reviendriez. Vous avez exploré la face sombre du soin, en devenant patiente. J’ai fait de même, chacun ses maladies, chacun ses souffrances, nous avons toujours été pudiques sur ces aspects de nos vies. Patiente, vous avez souhaité devenir patiente experte, cumulant les formations les plus exigeantes sur le sujet. Avec succès, en vous faisant remarquer pour toutes vos qualités que je connais, moi, depuis vos 18 ans.
Nous nous sommes éloignés, nous nous sommes retrouvés, maintes fois.
Et puis cet échange. Cette conversation. Cette correspondance.
Entre soignants-patients, patients-soignants, patients impatients, soignants insolents.
Ma Caroline, tu m’as fait vivre la plus belle amitié que je puisse espérer, Madame Kronik vous m’offrez la conversation qui marquera ma vie de soignant, de patient, d’être humain, tout simplement.
Merci.
