5. Solitude et portes de sortie
La discussion sans tabou d'un patient et d'un soignant
Publié par Caroline Bee et Patrick Papazian

Monique Kronik
Cher Doc, je suis sincèrement désolée que l’annonce de votre maladie ait été aussi abrupte. Et je suis tellement triste de vous imaginer seul, dans le métro, face à votre crise de tétanie, à votre angoisse sidérante. On a tellement de mal à imaginer que les médecins peuvent être aussi des patients… Malgré tous les progrès qui ont été faits depuis ces vingt dernières années sur la relation moins verticale qu’entretiennent les patients et leur médecin, pour ma part, dans mon inconscient, le soignant est toujours paré de sa cape d’invincibilité. Il faut dire que j’ai un oncle médecin généraliste qui ne s’arrête jamais, même quand il est malade. C’est quand il a eu un abcès dentaire carabiné que j’ai réalisé qu’il n’était pas aussi
« puissant » que ça. Peu après, il s’est projeté un morceau de limaille dans l’œil en bricolant, ce qui lui a valu d’aller aux urgences ophtalmologiques. Lui aussi pouvait souffrir, donc. Les médecins vont chez le dentiste, chez l’ophtalmo, chez le gynéco… Ce ne sont pas des super héros !
J’aimerais revenir sur la solitude ressentie dans le parcours de soins. Qu’on soit entouré ou pas, porté sur le pessimisme ou plutôt optimiste, solide ou fragile, il y a toujours un moment où on se retrouve seul avec sa maladie, ses questions et ses doutes. C’est cette solitude originelle dont vous parlez. Pour vous répondre, non, je n’aurais peut-être pas souhaité qu’on m’annonce, alors que j’avais une vingtaine d’années, que ma vie allait être aussi chaotique, ponctuée de rémissions, de rechutes, de très hauts et de très bas, de chutes vertigineuses et de renaissances. Tout cela m’aurait paru épuisant et angoissant. Mais j’aurais aimé bien sûr qu’on m’accompagne davantage, qu’on m’épaule, qu’on me propose par exemple de voir un psychologue toutes les semaines, ou que je puisse me confier sur ma maladie auprès de pairs. Ce qui n’enlève rien à la solitude ontologique, constitutive de nos vies.
À la faveur d’insomnies, je me réveille souvent vers 4 heures du matin et je commence à mouliner. Pourquoi c’est tombé sur moi ? Et si j’arrêtais mes traitements, qu’est-ce qui se passerait ? Suis-je sûre de vouloir continuer à vivre ainsi ? Vais-je retrouver une vie d’équilibre et de sérénité, qui ne sera bien sûr pas parfaite, mais exemptée de cette saloperie qui me bouffe le cerveau ? Pendant ces heures sombres, Je pense à la chanson de Brel « non Jef, t’es pas tout seul / Viens il me reste 3 sous / on va aller se les boire chez la mère Françoise / Et si c’est pas assez / il me reste l’ardoise », ou encore au titre de Diams, Et si c’était le dernier, ma chanson culte :
« Solidaire envers les dépressifs
Solidaire car aucun être humain sur terre ne pourra vous porter secours
Cherche la paix au fond de toi-même
Je sais que t'aimerais qu'on te libère, qu'on te comprenne quand tu saignes
Et que la vie n'a plus de goût ».
Heureusement, des solutions existent. Tout d’abord, comme je le disais en préambule, la relation patient/médecin n’est plus aussi verticale qu’avant et le malade adhère à une alliance thérapeutique avec son soignant, il peut discuter de son traitement, rédiger des directives anticipées… La loi Kouchner de 2002 a beaucoup fait pour les droits des patients en mettant en avant cet équilibre, qu’on appelle démocratie en santé. Des associations de patients se sont créées, entraînant avec elles un formidable maillage social pour les malades de tous types.
Ensuite, l’explosion d’Internet a été une occasion d’échanger avec d’autres patients atteints de la même maladie : forums, sites Internet puis plus récemment réseaux sociaux, podcasts, vidéos YouTube, etc.
Enfin, depuis une vingtaine d’années, les patients experts et les pairs-aidants sont apparus dans le paysage en France, Si vous ne savez pas ce qu’est un patient expert, lecteur, nous l’évoquons dans le chapitre « Engagement ». Je n’irai donc pas plus loin ici pour ne pas me répéter. Les ancêtres des patients experts et des pairs-aidants sont les Alcooliques Anonymes. Dans les années 30, deux messieurs, Bill et Bob, tous deux alcooliques, se rencontrent. Ils se mettent à discuter, et se rendent compte que la parole partagée, le fait de vivre les mêmes expériences, de « vider son sac » enlève leur appétence à la boisson. Ils créent alors les Alcooliques Anonymes dont on connaît le succès et les résultats.
Pour finir, je souhaite revenir sur cette question de la solitude. Depuis quelque temps – mieux vaut tard que jamais – j’ai intégré la spiritualité dans ma vie, qui me permet de mieux traverser les moments difficiles où je me sens perdue. Certains la nommeront Dieu, Allah, Yhavé ou toute autre entité. Dans tous les cas, il est parfois salvateur de s’en remettre à une puissance supérieure. La plupart des patients que j’ai rencontrés avaient développé une spiritualité soutenue. C’est particulièrement le cas à l’approche de la mort. Car au final, toute maladie chronique nous rappelle la finitude et le décès. Il nous faut, je crois, aborder la fin de vie, Doc, sujet délicat s’il en est. Je vous laisse commencer. Vous avez sans doute dû assister à beaucoup de décès en tant que médecin. Accepteriez-vous de me raconter une expérience qui vous a marqué ?