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4. Annonce (suite)

La discussion sans tabou d'un patient et d'un soignant

Dialogue2_DocMadrigal_Annonce(suite)4. Annonce (suite)
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PatrickPapazian-docteurilfautquonparle

Dr Madrigal

- Madame Kronik, j’éprouve de la peine et de la honte quand je vous lis. De la peine, en imaginant votre désarroi et celui de votre famille au moment de cette annonce concise et abrupte, de la honte pour nous, les soignants, qui choisissons ce métier pour, naïvement, nous sentir utiles pour les autres. Dans le cadre de votre annonce, nous avons clairement loupé quelque chose, par manque de temps, d’énergie, de volonté. Mais peut-être, aussi, pour ne pas tout vous infliger d’un coup. Car la suite possible de l’histoire, nous la connaissons : nous voyons des patients à tous les stades de la maladie.

Pour vous, c’est le bal des débutantes, votre entrée dans le grand monde du parcours de soins, quant à nous, il faut plutôt nous imaginer comme des dames pipi du Palace (une boîte de nuit parisienne à la mode dans les années 80, désolé les jeunes), qui avons vu nos clients dans tous les états possibles au fil de leurs vies chaotiques. Auriez-vous vraiment souhaité, à cet instant précis de votre existence, que l’on vous déballe tout ?

 

Déjà, les effets indésirables des médicaments ? Indésirables et non secondaires, car « un effet indésirable n’est jamais secondaire pour un patient » : c’est parfois le problème principal, dans sa vie, à un instant donné. Puis les rechutes à répétition, presque certaines, histoire de bien vous décourager de prendre votre traitement, puisque, fatalement, « ça reviendra » ? Les complications, les difficultés dans vos relations avec certains soignants qui connaissent mal votre maladie et seront bourrés de préjugés sur votre état (« eh, dites, c’est pas un peu du cinéma tout ça ? ») ?

Et les conséquences sur votre entourage proche, avec les amis démissionnaires (« désolé ma chérie, mais j’ai mes propres problèmes. Et ta maladie me ramène à mon arrière-grand-tante que je n’ai jamais connue ni aimée, mais qui avait la même maladie, alors tu comprendras : je prends mes distances. Mais n’hésite pas si tu as besoin hein ! Bisous ») ? Et la vie professionnelle, qui va redémarrer en mode « dégradé » parce que vos ambitions sont bonnes à mettre à la poubelle ?

 

Doit-on se livrer à cette violence, pour vous, mais aussi pour la personne qui déroule ce triste scenario, et vous dire : « Madame Kronik, vous risquez d’avoir une vie de merde. Ou pas. Mais si vous prenez bien vos traitements qui vont vous coller des tas de problèmes que vous n’imaginez pas au moment où je vous parle, tout ira bien. Ou pas. Et changez de travail. Et adoptez des chats,
ils vous seront fidèles, eux. Bonne journée ! ».

J’y vais un peu fort. Mais je reprendrai le mot d’une amie chère, Catherine Cerisey, qui dit : « L’annonce du diagnostic, c’est quelqu’un qui n’a pas envie d’annoncer quelque chose à quelqu’un qui n’a pas envie de l’entendre. » C’est la meilleure formule sur l’annonce que j’ai entendue dans ma vie.

J’ai déballé mon sac, mais soyons honnêtes : il y a eu quelques progrès dans l’annonce du diagnostic, dans certaines spécialités ou des services à la pointe des valeurs humaines. Par exemple, en oncologie, le dispositif d’annonce, mesure du Plan Cancer 2003-2007, mis en place à la demande des patients lors des États Généraux des malades atteints de cancer organisés par la Ligue Nationale Contre le Cancer. Un dispositif construit autour de quatre temps forts. D’abord le temps médical, animé par le médecin. Là, on est dans le dur : l’annonce du cancer, de la stratégie thérapeutique, c’est violent. Puis le temps d’accompagnement soignant, assuré généralement par un infirmier, pour orienter vers le service social de l’hôpital, le psychologue ou psychiatre, et connaître les associations de patients et l’aide qu’elles peuvent apporter. Un peu de douceur pour amortir le choc. Ensuite, le temps d’accès à une équipe impliquée dans les soins oncologiques de support, tout cet aspect « satellite » mais essentiel du traitement spécifique du cancer. Enfin, le temps d’articulation avec la médecine de ville, afin que l’hôpital communique au mieux avec vos interlocuteurs du quotidien, médecin généraliste, pharmaciens etc. Sur le papier, c’est pertinent. En réalité, peu de patients ont vraiment accès à ces quatre temps, notamment aux deux derniers. Et, en cas de récidive, pas de dispositif d’annonce, on ne repasse généralement pas par la case départ. C’est de l’information plus brutale, parce que vous connaissez la chanson et que vous avez le cuir tanné par votre première expérience. Ce qui est évidemment faux puisque la récidive est une situation émotionnelle, humaine, souvent plus difficile à vivre et à accepter.

Nous avons parlé cancer. Dans les autres pathologies, c’est un peu la foire aux bonnes initiatives, ou pas. Tel service va parfois calquer en partie le dispositif d’annonce oncologique pour l’adapter à d’autres maladies. Des principes vont être adoptés (par exemple,
« on n’annonce jamais une séropositivité au VIH un vendredi pour ne pas prendre le risque de laisser la personne seule le week-end avec cette information »). Certains médecins organisent des entraînements à l’annonce, avec des acteurs qui jouent le rôle
de patients, pour travailler le langage verbal, non verbal, toutes les conditions qui entourent l’annonce. J’ai en tête un confrère qui m’avait dit : « L’annonce, c’est comme le pilotage d’un avion. En tant que commandants de bord, nous devrions régulièrement passer des heures en simulateurs, avec des associations de patients, des exercices de mise en situation, quelle que soit notre expérience en médecine, car c’est un travail permanent, on n’a pas le droit à l’erreur ». J’aime beaucoup cette vision.

J’aimerais vous faire une confidence Madame Kronik. Je sais que vous avez été soignante, que vous êtes redevenue d’une autre manière soignante, non, non, ne niez pas, nous en reparlerons plus loin. Moi, je suis aussi patient. On a toujours un peu de pudeur, en tant que soignant, à dire que l’on est patient. Pour ne pas ériger sa propre expérience de la maladie en modèle universel, parce qu’il est tout sauf universel : en tant que médecin, je suis sans doute mieux armé pour comprendre la situation, avec les avantages mais aussi les inconvénients que cela représente, car la fin du film catastrophe que peut être une maladie, je la connais. Je peux faire mes ordonnances, contacter un collègue ami, bref, je suis mieux formé pour naviguer dans le parcours de soins. Mais parce que je suis médecin, l’annonce de ma maladie… a eu lieu par un confrère, au téléphone, en une minute, alors que je rentrais dans le métro. Je me rappelle chacun de ses mots : « Voilà, pas grand-chose à ajouter, tu connais la suite, bonne chance. » On m’a clairement volé mon annonce, à moi aussi. Parce que le médecin au bout du fil a pensé que mes connaissances allaient me permettre de gérer mes émotions. Et pour la seule fois de ma vie, j’ai fait une crise de tétanie, dans le métro, sans savoir vers qui me tourner.

Face à l’annonce, je l’ai compris ce jour-là, dans ma chair davantage que dans ma pratique médicale, on est, malgré tout, seul au monde. Face à l’annonce, c’est un peu comme face à la mort : l’entourage, l’accompagnement, les petits gestes et belles déclarations aident un peu, mais on est résolument, inéluctablement, seul.

Car le malade, c’est vous, c’est moi, mais personne d’autre, et personne ne peut prendre votre place, ne peut ôter cette douleur ou vous convaincre que « ça va aller » car, non, ça ne va pas aller. En tout cas pas au tout début. C’est cette solitude originelle à laquelle vous ramène la maladie qui est insupportable, non ?

Et la rencontre avec des pairs, associations, patients ayant vécu le même parcours que vous, est le pansement le plus doux que vous puissiez mettre sur cette solitude.

Qu’en pensez-vous Madame Kronik, comment avez-vous traversé les premiers mois dans le fameux « parcours de soins » ? Et les médicaments, ont-ils été une bouée pour vous, ou un boulet ?

docteurilfautquonparle par Caroline Bee et Patrick Papazian

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