19. Engagement (2)
La discussion sans tabou d'un patient et d'un soignant
Publié par Caroline Bee et Patrick Papazian

Monique Kronik
La révolution est en marche, doc ! Mais ça vous le saviez, vous qui faites le plus souvent alliance thérapeutique avec vos patients, dans un partenariat bienveillant. Cette alliance thérapeutique n’a pas toujours été la norme. Jusqu’à il y a peu, on avait l’image du médecin tout sachant, puissant et bardé de flambants diplômes, auscultant un patient ignorant, faible et alité. Le « malade » n’avait pas voix au chapitre et se devait de suivre les recommandations de son médecin et de prendre sagement son traitement sans trop poser de questions. Comme souvent, les choses ont commencé à bouger aux États-Unis dans les années 70 avec les luttes conjointes pour les droits civiques des Noirs Américains et des personnes handicapées. « Nothing about us without us ». « Rien sur nous, sans nous » c’était le slogan porté par les ostracisés, les laissés-pour-compte, écartés par une société qui invisibilise ceux qui sortent de la norme : les migrants, les pauvres, les handicapés, les gros, les LGBTQI… La liste est tristement longue. Si on veut être plus précis, on peut déjà trouver trace d’une implication des personnes concernées par leur pathologie à la fin du XIXe siècle, avec les recovery circles, ces cercles d’anciens buveurs qui s’entraidaient et ont ensuite donné naissance aux Alcooliques Anonymes dans les années 30. L’idée est toute simple : celui qui souffre d’une maladie chronique acquiert au fil du temps un savoir expérientiel précieux. Il connaît parfaitement sa pathologie, les symptômes, les traitements, leurs effets secondaires, les périodes de rémission et de rechute, les astuces pour faire face… Dans le jargon, on appelle cela un patient expert. C’est une vraie compétence, qui le place sur un pied d’égalité avec celui qui le soigne et lui permet également d’aider d’autres malades. Puis, vous avez mille fois raison de l’avoir souligné en disant qu’il y a un avant et un après, au début des années 80, quand s’est abattu ce cauchemar qui portait 3 lettres : VIH. Pour la première fois, médecins et malades se retrouvaient au même point : impuissants face à un virus inconnu qui semait la mort sur son passage. Avec un courage et une détermination qui forcent bien évidemment l’admiration car c’est un cas unique dans l’histoire de la médecine, les malades du SIDA ne sont pas restés les bras ballants. Rien sur nous, sans nous, rappelez-vous. Comme vous l’avez encore dit, des associations de patients comme Act Up ou Aides se sont formées et ont travaillé de concert avec les médecins et les chercheurs pour faire avancer la recherche et les traitements, tout en livrant une bataille titanesque contre la discrimination que subissaient les personnes séropositives, aidées par des relais médiatiques. Un peu plus tard, à la fin des années 90 et en 2008,
se sont déroulés respectivement les États généraux des malades atteints de cancer et les Assises du cancer. Là encore, ces événements ont marqué un tournant dans l’engagement patient et le poids que les usagers de santé et les patients experts pouvaient peser dans les politiques de santé. C’est ainsi qu’est née la loi Kouchner en 2002, qui consacre la démocratie en santé et l’intégration des patients aux prises de décision dans leur parcours de santé. Tout cela vous semblera peut-être un peu académique, mais je pense qu’il est capital pour un malade chronique de savoir qu’il n’est pas seul et que des centaines d’associations et d’initiatives existent pour l’aider dans son quotidien souvent compliqué. Je me permets de revenir sur ma trajectoire personnelle. En 2020, en plein confinement, j’ai eu la chance de participer à la création et à l’élaboration de la ligne C. Il s’agissait d’une ligne téléphonique à destination des malades chroniques qui se posaient des questions sur leur pathologie en rapport avec le Covid. La particularité de cette ligne est qu’elle était animée par
des soignants (il me semble vous avoir croisé mon cher !)… et des patients chroniques. Un bel exemple de partenariat qui s’est avéré une réussite. La même année, je me suis inscrite à l’Université des patients à La Sorbonne pour y suivre un DU (Diplôme Universitaire) d’éducation thérapeutique, puis en 2021-2022, j’ai fait un DU de
pair-aidance en santé mentale et troubles du neurodéveloppement à Lyon. La pair-aidance, dont on parle de plus en plus, consiste, pour un patient rétabli, à intégrer une structure hospitalière ou extra-hospitalière afin d’apporter son éclairage de patient souffrant d’une pathologie à d’autres patients non rétablis, sous forme d’entretiens ou d’activités thérapeutiques. C’est grâce à cette formation que j’ai pu être écoutante à la ligne téléphonique de France Dépression pendant deux ans. Ces années d’études ont été très enrichissantes pour moi mais curieusement, j’ai remarqué dans ces formations un absent de taille (si je puis m’exprimer ainsi) : le sexe. La sexualité des patients n’est jamais abordée au cours de ces enseignements, pourtant très riches par ailleurs. C’est donc évidemment à vous, éminent sexologue, qu’il incombe de nous en parler !