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25. Travail

La discussion sans tabou d'un patient et d'un soignant

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Monique Kronik

Travailleurs, travailleuses… ah, ces mots célèbres qui ponctuaient le début des discours d’Arlette Laguiller dans ma jeunesse ! Le travail et la maladie chronique, on en parle, Doc ? J’ai surtout beaucoup de questions à ce sujet et pas beaucoup de réponses. Maladie et travail. A priori, ces mots ne font pas bon ménage. Quand on a une grippe, on s’arrête pour une semaine et on reprend. C’est dans la logique des choses. Mais comment fait-on quand on souffre d’une maladie au long cours ? Bien sûr, beaucoup d’aménagements et d’aides existent : la reconnaissance travailleur handicapé (RQTH), le travail en milieu adapté, le mi-temps thérapeutique, l’allocation adulte handicapé (AAH), etc. Les entreprises sont dans l’obligation de recruter un certain pourcentage de personnes reconnues travailleurs handicapés, sous peine de payer une amende. N’empêche, une petite voix là-haut me susurre que tout n’est pas rose. Dans l’esprit de beaucoup de recruteurs, la maladie chronique rime souvent avec incapacité, faiblesse, arrêts de travail et moindre rendement. Nous sommes dans une société de la performance, dans laquelle on doit être efficace, connecté, à l’affût, consommateur, la tête dans le guidon. Tout cela est impossible quand on est malade. Je pense aussi aux maladies « taboues ». Pendant longtemps, le cancer en était une et encore aujourd’hui, il n’est pas évident de parler cancer en entreprise, même si les associations de patients et les ligues contre le cancer font un travail d’intégration formidable. Puis est arrivé le VIH dans les années 80, cet ouragan dévastateur pour tous. De nos jours, une personne séropositive peut mener une vie quasiment « normale ». Mais va-t-elle évoquer sa séropositivité auprès de ses recruteurs ou de ses collègues ? Rien n’est moins sûr. Il y a aussi le problème de la douleur au travail. Que fera une personne souffrant d’une polyarthrite rhumatoïde quand elle sera percluse de douleurs ? Celle qui vit avec une fibromyalgie invalidante ? Celui dont le diabète provoque des malaises subits ? Et que dire des patients qui souffrent d’un trouble psychique ? Être malade mental, c’est être blacklisté, sans autre forme de procès. J’ai un exemple en tête qui résume tout. Je n’aime pas me plaindre, mais cette histoire m’est restée en travers de la gorge. Un éditeur m’avait chargée d’écrire - en tant que prête plume - l’histoire d’une femme qui connaissait alors une petite notoriété à la télévision. Nous avons commencé les entretiens et j’ai malheureusement fait une rechute dépressive assez sévère à ce moment-là. Ne me sentant plus la force de travailler, je lui ai écrit en lui disant simplement la vérité sur ma dépression. Résultat : zéro réponse. Rien. Le silence total. Je pense, j’en mettrais ma main à couper, que j’aurais eu un petit mot d’encouragement si j’avais souffert d’une maladie « somatique » - je n’aime pourtant pas trop dissocier la psyché et le soma. La maladie mentale est invisibilisée, bannie, proscrite car elle charrie avec elle des images qui font peur. La folie, la perte de contrôle, la dangerosité… Au-delà des troubles psychiques, la maladie chronique, quelle qu’elle soit, fait peur, rebute, repousse. Il y a encore beaucoup de boulot pour que le monde du travail accueille comme il se doit ses malades, lesquels peuvent s’avérer d’une aide précieuse en amenant un regard différent sur les notions de travail, d’effort, de collaboration. Car celle ou celui qui fait l’expérience de la maladie chronique a forcément emprunté un chemin spirituel d’acceptation et d’adaptation, qui peut être utile à des « biens portants » Qu’en pensez-vous, Doc ? Quelle est votre expérience à ce sujet ? Vos patients vous ont sans doute confié pas mal de choses…

docteurilfautquonparle par Caroline Bee et Patrick Papazian

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